Le volontourisme :
un business aux couleurs humanitaires?

Source  : https ://www.rtbf.be/info/societe/onpdp/detail_le-volontourisme-un-business-aux-couleurs-humanitaires?id=9927524

Véronique Fouya. Le vendredi 25 mai 2018

Cet été, vous avez décidé de ne pas bronzer "idiot" et de vous rendre utile… Pourquoi pas en faisant du bénévolat par exemple dans un pays d’Asie ou d’Afrique ? Sur internet, les offres ne manquent pas : de nombreuses associations vous proposent des séjours à durée variable, dans le pays de votre choix, pour apporter une aide que vous choisirez.

Un voyage à la carte en quelque sorte. Enseignement, environnement, construction, social… Les terrains où déployer son empathie pour autrui sont vastes. D’aucuns appellent cela du volontourisme : l’occasion de découvrir un pays, une culture, tout en soutenant des projets caritatifs locaux. Projects Abroad fait partie des associations leader sur ce marché. Une entreprise britannique, présente dans une trentaine de pays et qui annonce quelques 10 000 volontaires par an. Pour comprendre comment s’organisent ces séjours, nous les avons contactés, en prétextant un intérêt pour l’Afrique du Sud et l’envie de se rendre utile pendant cet été.

Chez Projects Abroad, les recrutements s’effectuent directement par téléphone. Nous les appelons : Assez vite, mon interlocutrice me recommande un projet à Madagascar sur lequel je pourrais dit-elle, avoir un "impact" important : il s’agit d’une structure créée par Projects Abroad et au sein de laquelle je devrai préparer des enfants entre trois et six ans à rentrer à l’école primaire. Mon travail consistera donc à développer des activités pédagogiques à leur intention. Serai-je formée ? Je comprends assez vite que cet encadrement sera rudimentaire : ½ voire une journée de formation, au plus.

2 355 euros ... sans le vol !

Je manifeste ensuite ma volonté de partir pour une durée d’un mois et me renseigne évidement sur le prix : 2 355 euros… sans le vol ! Mais à part cela, précise-t-on, l’essentiel est compris : l’hébergement, une assurance médicale et de voyage, l’organisation de la mission, "l’équipement" nécessaire au projet et, concède mon interlocutrice au téléphone, les frais de fonctionnement importants de Projects Abroad.

Je ne dois pas être la seule à être interpellée par les tarifs : sur son site, l’organisation a même inclus un petit guide afin d’aider les aspirants à récolter de l’argent. Devant mes réticences, mon interlocutrice poursuit : je peux effectivement trouver moins cher sur le marché mais je ne bénéficierai pas du même service… Catarina Letor, elle, est une jeune journaliste et dans le cadre de ses études, elle a voulu constater de visu le travail effectué par les bénévoles. Envoyée par Projects Abroad au Cambodge, elle en est revenue avec un documentaire tourné en caméra cachée : "Tourisme humanitaire : un nouveau business ?".

Les bénévoles se succédaient, répétant toujours les mêmes notions de base comme les jours de la semaine, les couleurs...

Elle se souvient : "À notre arrivée, le professeur nous a laissées seules avec trente enfants alors que nous n’avions aucune formation; assez vite, nous nous sommes rendues compte que nous ne servions à rien; les bénévoles se succédaient, répétant toujours les mêmes notions de base comme les jours de la semaine, les couleurs… J’ai vraiment senti une déception de la part des jeunes qui se trouvaient là, par rapport à leur idéal de départ; certains désertaient même les lieux pour faire du tourisme car ils avaient le sentiment de perdre leur temps". Catarina décide alors de rencontrer la responsable locale de Projects Abroad : au moment où elle lui demande d’expliquer les missions de l’organisation, la jeune femme réfléchit, s’éclipse puis revient avec un document qu’elle lit face caméra ! Quant au prix, la jeune journaliste estime que la facture est exagérément gonflée : en interrogeant les différents acteurs sur place, nous sommes arrivées à un total de moins de 500 euros évalue-t-elle ; nous avons probablement oublié des facteurs dans l’addition mais de là à nous réclamer 2 700 euros, il y a de la marge ! Catarina Letor en est convaincue : cette association fait avant tout du business, avant toute autre considération, qu’elle soit d’ordre social ou humanitaire.

D’ailleurs, la porte-parole que nous avons contactée ne nie pas le caractère commercial de l’activité. Interrogée sur le prix, elle évoque d’autres activités déficitaires de l’organisation, comme les stages pour jeunes, ce qui ne manque pas de nous surprendre : en quoi les bénévoles devraient-ils supporter les déficits d’une activité ? Sur l’absence de formation préalable, elle précise que tous les bénévoles sont encadrés pendant leur mission par des locaux. Et que si cela n’a pas été toujours le cas, l’organisation s’améliore en permanence et sait tirer les leçons des expériences passées. Quant au recrutement par téléphone : ce système dit-elle fonctionne depuis des années sans poser le moindre problème…

Wep et projet éducatif

En Belgique aussi, certaines associations s’inscrivent dans cette mouvance. C’est le cas de Wep, bien connue pour ses séjours linguistiques à l’étranger. L’organisation privée réfute le terme de volontourisme et préfère le terme de projet éducatif, qui sous-entend une rencontre culturelle. Nous les avons également interrogés en caméra cachée en nous faisant passer pour un candidat potentiel. La représentante me suggère un refuge pour femmes et enfants en Afrique du Sud, dans une région touchée par le virus du sida. Je devrai mener des actions de sensibilisation et aider les infirmières sur place. Je pose également la question de ma formation : "c’est un programme pour des volontaires qui sauront faire preuve d’initiatives" précise mon interlocutrice. D’autres informations suivent : je serai logée dans une maison de volontaires, sans grand confort et pour un mois, le séjour coûtera 1 700 euros, toujours sans le vol.

C’est déjà nettement moins cher que Projects Abroad mais n’empêche… ça reste un fameux budget pour aller faire du bénévolat. J’apprends également que Wep sous-traite en réalité certains séjours et que son travail consiste à trouver des volontaires pour d’autres organismes. Wep propose d’autres missions, à moins de 1 000 euros mais si je m’engage dans cette voie me dit-on, je devrai m’attendre à un timing "à l’africaine" et découvrir ma mission sur place, tout en sachant qu’elle est susceptible d’évoluer en fonction des besoins locaux du moment. "Au Ghana par exemple, il faut être tout terrain, ça dépend des besoins… on fera le maximum pour que ça corresponde à vos demandes mais on ne peut pas vous le garantir". Au bout d’une petite heure d’entretien, j’apprends qu’avant de partir, je passerai un entretien afin de voir si mon profil correspond à la mission choisie et dans le cas contraire, je serai réorientée. Voilà qui nous apparaît comme une précaution minimale…

Une marchandisation des bons sentiments ?

Pourquoi les démarches de certains organismes privés interpellent-elles d’autres acteurs du secteur ? Manu Toussaint de l’ONG Service Civil International, dénonce des points de friction : d’abord, la logique purement commerciale de ces entreprises et la marchandisation du bénévolat qu’elles mettent en place. Ensuite, le leurre quant aux répercussions du travail des bénévoles : comment peut-on espérer avoir un impact réel le temps d’une "mission » ? l’encadrement souvent peu consistant et l’absence d’informations solides sur les partenaires locaux." C’est bien simple dit-il : là où le tourisme traditionnel fait des marges bénéficiaires de 10%, ces agences triplent la mise".

Avant de signer avec l’une d’entre elles, des précautions s'imposent donc : vérifier le statut de l’organisme pour savoir s’il s’agit d’une ABSL (Association sans but lucratif) ou d’une entreprise commerciale, analyser ses tarifs de près, s’intéresser à sa vision du développement, questionner sur l’encadrement, avant, pendant et après le séjour et enfin réfléchir à la finalité du processus. L’ASBL Quinoa pose d’ailleurs cette question pertinente : accepterait-on que nos enfants soient formés par des bénévoles mexicains qui se relaieraient tous les 15 jours ?
Sa mise en garde va d’ailleurs plus loin : "De fausses structures humanitaires sont créées expressément ; regardez le nombre d’orphelinats au Togo, c’est édifiant".

Alors si cet été, vous vous sentez l’âme d’un bénévole, soyez vigilant. Et prenez le temps de la réflexion.

 

Lien vers la vidéo : https://www.rtbf.be/auvio/detail_le-volontourisme-un-business-aux-couleurs-humanitaires?id=2353692